Aux confins de la Vallée de Joux, aux abords de la frontière franco-suisse se situe une ancienne fromagerie d’alpage du XIXe siècle. Sous le tuyé (cheminée pyramidale), le Creux du Feu a repris du service, après 70 ans de sommeil forcé. Le foyard a brûlé, les braises ont virevolté et le chant du feu crépitant sous la petite chaudière a réchauffé le lait et le cœur du fromager faisant renaître un savoir-faire rare. Une aventure qui résulte de l’entrelacement temporel d’un lieu, de passionnés et d’histoires passées et à venir.
Dans la prairie abandonnée
C’est dans les hauteurs des Petits Plats de Bise, à côté du Noirmont, dans cette région frontalière de la Vallée de Joux, que Jeandaniel Bodenmann connaissait cette fruitière laissée à l’abandon depuis plusieurs décades, et par chance en devient propriétaire. Des travaux de rénovation urgents du bâtiment sont effectués et la partie fromagerie est conservée dans son état opérationnel.
Guerre de fromages depuis le Moyen-âge
Le bâtiment possède une particularité qui lui est propre. Il est en effet situé sur un territoire qui a été l’objet de nombreuses, longues et douloureuses discussions entre la France et la Suisse lors de rétrocessions de la frontière. Afin que la fruitière reste en terre française, le tracé de séparation des territoires nationaux a été modifié et ratifié par le Traité des Dappes en 1862. Alors que les pâturages autour de la Joliette sont helvétiques, le bâtiment lui, est resté français.
Ere moderne
La fromagerie à l’ancienne cesse ses activités en 1952, date à laquelle les normes de production changent du tout au tout et deviennent plus drastiques. Le fermier est alors obligé de s’adapter et se regroupe avec ses pairs. Ensemble, ils mutualisent la production de lait servant à la production de fromage qui sera fabriqué ailleurs. Ces normes conduisent à la création officielle de l’Appellation d’Origine Contrôlée du Comté en 1958.
Creux du Feu
Par un heureux et incroyable hasard – en existe-t-il vraiment ? -, il s’avère que le gendre de Jeandaniel Bodenmann, Landry Bächler, également époux de Mélanie, représente la 5e génération de fromagers de sa famille. En juillet 2018, il tire de ses ancêtres la substantifique moelle d’un savoir-faire irremplaçable pour le mettre au service d’une production unique. Après avoir déniché une pierre à Comté dans une brocante et autres ustensiles devenus rarissimes de nos jours, le fromager et le menuisier font monter 380 litres de lait de vaches à l’ancienne fromagerie.
Des gestes oubliés
Point de machines ni d’ordinateurs pour tout contrôler, ici le chaudron a besoin de bras et d’huile de coude. Landry doit tout réapprendre en puisant dans l’héritage familial, acquérant les techniques au fil des rencontres et des recherches effectuées. Doucement, le lait est chauffé à 31°C au feu de bois, sous l’œil vigilant du fromager qui ajoute ferments aromatiques et thermophiles au chaudron. De la présure et quelques secrets de fabrication plus tard, c’est un fromage type à pâte pressée cuite, situé entre le Comté et le Gruyère que l’on place sous la pierre. La meule de 27kg produite à l’alpage est régulièrement frottée et s’affine tranquillement jusqu’à l’été 2019 où elle sera goulûment dégustée.
Redonner vie au bâtiment
Une première expérience réservée à l’entourage familial dans un premier temps. La recette doit se perfectionner, s’affiner pour trouver une identité qui lui soit propre et indéniable. D’autres productions sont prévues, à une échelle humaine afin de ne pas perdre l’âme et les racines du métier. Une tradition estivale familiale en devenir ? Grandes sont les chances qu’elle le devienne. L’objectif de Jeandaniel a déjà été atteint : celui de refaire un fromage à l’ancienne dans ce bâtiment historique.