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Les gens de Bodenmann

Cela fait plus de 127 ans que J. Bodenmann SA fait partie du paysage combier. Grâce à son fondateur Jacob Bodenmann et ses descendants qui se succèdent brillamment à la tête de l’entreprise, mais aussi et surtout grâce à ses collaborateurs, véritables experts dans leur domaine. Ensemble, depuis plus d’un siècle, direction et personnel ont su transformer l’entreprise en un acteur phare de la Vallée de Joux. Aujourd’hui nous voulons mettre en avant six de nos collaborateurs, véritables piliers de notre société.

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L’art du moucharabieh

Les civilisations passent, et c’est à l’aune de leurs apports à l’humanité tout entière et de la fascination qu’elles exercent sur nos contemporains que nous apprécions leur rayonnement.

Ce n’est pas dans le désert d’Arabie que la civilisation musulmane est devenue grande, ni d’ailleurs dans le bassin de l’Euphrate ou encore sur les rives de la Méditerranée. Cette civilisation n’a pas atteint son degré de sophistication sur un lieu en particulier. La civilisation islamique est devenue grande le jour où elle a intégré le fait qu’elle serait plus grande encore en s’ouvrant aux courants de pensée qui parcourent le monde plutôt qu’en se renfermant sur ses conquêtes militaires.

La philosophie grecque nous est parvenue grâce aux arabes qui traduisirent les grands textes alors que des clergés obscurantistes décidèrent finalement de les brûler… ironie de l’histoire ! Ainsi, c’est sur les rives de l’Indus que les savants musulmans découvrirent le zéro et vulgarisèrent le système décimal.

Il en va de même dans de nombreux domaines comme l’irrigation, les sciences, la navigation et dans ce qui nous intéressera dans cet article : l’architecture.

Pour véhiculer les savoirs d’un bout de l’empire à l’autre, pour qu’une idée circule de Cordoue à Bombay en passant par Le Caire et Damas, il faut deux conditions : des routes sécurisées avec un système de caravansérails pour les longs trajets et un véhicule culturel commun, la langue arabe.

De nombreux historiens s’accordent à dire que la civilisation musulmane est la première civilisation de synthèse, ayant suivi un développement des savoirs identique à celui de la civilisation nord-américaine.

Les influences architecturales arabes sont multiples. Les systèmes d’arches brisées, les dômes et les frontons empruntent au vocabulaire antique et byzantin. Les motifs floraux et les rythmes géométriques tirent leurs influences des grammaires esthétiques iraniennes et indiennes pré-islamiques.

Dans la tradition religieuse musulmane, de nombreux espaces sont délimités de manière symbolique. Un simple tapis au sol représente un espace sacré au milieu d’un espace profane. Ces typologies d’espaces peuvent aussi être délimitées de manière plus formelle par des murs et des zones de passages entre les différents espaces.

Le moucharabieh

C’est un des premiers éléments d’architecture que l’on remarque quand on déambule dans une ville orientale. Le Moucharabieh est un système de fenêtre à jalousies dont la pièce maîtresse est un treillage d’ébénisterie travaillé en motifs extrêmement fins, permettant aux maisons de capter l’air et la lumière venant de l’extérieur. Historiquement, les femmes étaient confinées dans les maisons. Ce dispositif leur permettait de voir l’animation et le spectacle de la rue sans pour autant être vues.

C’est en Égypte et en Andalousie que les architectes développeront l’utilisation de ces dispositifs en les adaptant aux parties hautes des bâtisses. Ils insérèrent des vitraux entre les maillages des différentes sections de bois pour colorer et tamiser les rayons du soleil. Le mot moucharabieh sert aujourd’hui toujours à déterminer ces dispositifs d’ouvertures ainsi que tout travail d’ébénisterie utilisant ces techniques d’assemblages de balustres, de bobines et de baguettes de bois retenues par des chevilles.

Bodenmann à Djeddah

C’est avec un grand intérêt et avec un certain plaisir que Bodenmann réalise à Djeddah, à l’occasion de la conception d’une boutique, un motif de Moucharabieh de 2’700 mm par 2’500 mm. Cette pièce composée de quatre panneaux a été taillée dans quatre planches de noyer américain. Les différentes pièces qui composent cet ouvrage sont assemblées entre elles. Afin de travailler les effets chromatiques, des pièces de verre coloré sans jointure apparente ont été fixées au centre de la composition formée d’octogones.

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Une traversée du XXᵉ siècle avec Bodenmann

Chez les Bodenmann, une curieuse tradition voulait que tous les prénoms commencent par la lettre J. Depuis le patriarche Jacob, il y eu Jean, Jaques et Jeandaniel. Ce dernier a pourtant dérogé à la tradition familiale, en nommant sa fille Mélanie… que s’est-il donc passé ? 

Chaque Bodenmann se démarque par son avant-gardisme sur la technologie de son époque. Jacob apporte l’électricité au Campe, Jean réalise La Cave Vaudoise à l’Expo Nationale de Zurich de 1939, Jaques reprend l’entreprise familiale à 22 ans, l’informatise, Jeandaniel la propulse à l’international et diversifie les activités et crée le célèbre établi pliant. Il a sa façon à lui d’amorcer le virage technologique du XXIe siècle en rompant avec les anciennes traditions : donner les rênes à une femme, à Mélanie, la première des M ! Une nouvelle lettre dans l’alphabet Bodenmann annonciatrice de changement, de progrès, d’évolution et d’entrée de plein fouet dans l’ère de la révolution du Social Media ! En plus d’apporter la touche féminine nécessaire dans cet univers masculin, Mélanie incarne la modernité en étant la première dirigeante de l’entreprise à avoir une approche stratégique, à vendre « par d’autres manières que par la technique », alors qu’auparavant l’approche métier était la seule connue et pratiquée. Ne croyez pas que Mélanie n’ait jamais mis la main à la pâte, cette entreprise, elle la connaît par cœur, tous ses coins et recoins, elle y est pratiquement née ! Elle est capable de reconnaître chaque essence de bois, chaque vernis, chaque pièce dans l’atelier… elle l’a dans son ADN. Successeur naturel tout désigné pour Jeandaniel, qui s’est dit « mais pourquoi pas ? ».

Avant lui, Jaques a été visionnaire et précurseur en informatisant l’entreprise très tôt, il a su prendre le virage technologique dont il prévoyait l’essor et l’inéluctabilité future. Surfant également sur l’inévitable vague de la mondialisation du marché, il envoie son fils étudier aux Etats-Unis pour y apprendre la langue de Shakespeare et celle du business. Dans le cadre de l’aide au développement, il envoie des établis horlogers en Corée du Nord et à Moscou. Jean, quant à lui, après avoir parcouru les routes de France pour son compagnonnage, restaure l’église du Brassus, construit l’Hôpital de la Vallée de Joux, produit des skis en bois avec son ami William Piguet pendant plus de vingt hivers.

Quant au patriarche, Jacob, arrivé d’Appenzell Rhodes Extérieure à 22 ans, tombe sur l’annonce « Nous cherchons menuisier sachant traire et faucher » et commence à travailler chez les « deux Henri », les frères Meylan, au Brassus. Il reconstruit et répare toutes les maisons après avoir vu le cyclone dévaster la Vallée de Joux. Il construit toutes les gares du Pont au Brassus, remporte une médaille de Bronze au Concours Cantonal d’industrie et du Commerce pour la construction de la charpente de l’église Saint-Léonard à Saint-Gall et est un des tout premiers à installer une génératrice à pétrole pour avoir de l’électricité. Il aimait casser les codes, peut-être poussé par la grande détermination et ténacité de son épouse Adrienne, femme de tête qui allait personnellement chercher les impayés à La Vallée d’un pied ferme. Lui qui montait au Marchairuz en vélo sur une route pas encore goudronnée et coupait un arbre qu’il attachait au vélo pour le freiner dans la descente, il construit son bâtiment pour y fonder son entreprise, celle dont hériteront ses descendants, bâtisse encore solide et debout de nos jours.

Dans quelques années, la page des J se tournera définitivement pour laisser la place à celle du M. A charge de Mélanie d’amorcer ce nouveau chapitre, le premier des 125 prochaines années.

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Carmen Mora